mercredi 12 septembre 2007

Mercredi soir, au son des néons et du «bip» d'ascenceur.


Salle d'attente d'hôpital. Qui sert poliment de «salon».
Ma grand-mère, ma mère et moi.

Un vieil homme, visiblement amoché, stationne son fauteuil roulant devant nous. Amaigri,sans dentier, il se ballade avec une bombonne d'air, une pompe, une sonde et un sac d'urine. Il jongle timidement avec une bouteille d'eau défraîchie, observe la ville par la fenêtre. Puis, pose sa tête dans sa main droite. Sauf ses pantoufles, rien ne semble plus lui appartenir. Même son visage n'est pas le sien.

Je déblatère sur ma journée de travail, histoire de faire passer cinq minutes supplémentaires. Ma mère et ma grand-mère m'écoutent d'une oreille distraite. Pendant une bonne demi-heure, je me dis que le vieil homme s'est assoupi. Non, finalement. Il m'interrompt.

- Je vous regarde, toutes les trois. Vous représentez la vie. C'est beau.
- Vous êtes gentil. Merci.
- On va bientôt me transférer aux soins palliatifs. Pour moi, c'est terminé.
- Oh. De quoi souffrez-vous?
- Cancer du poumon. Jamais fumé de ma vie. Bon quelques cigares, juste pour dire. J'ai quand même 78 ans.
- ...
- Excusez-moi de me confier, mais j'aime votre compagnie.

Jean-Paul Fauteux, qu'il s'appelle. Sa femme est décédée depuis longtemps, et d'habitude c'est son amie Micheline Bédard «Pétard» qui lui rend visite. Parce que bon, il a deux fils, mais ce sont de grands voyageurs, comme lui. L'un à Calgary, l'autre à Orlando. Pas le temps de voir papa. Et comme les frères qui lui restent ont beaucoup de mal à se déplacer... Non, mais c'est pas grave.

Il raconte, raconte. Et ravale souvent un sanglot.

C'est qu'il en a vu, du pays, le Jean-Paul. Ingénieur au Canadien Pacific. Ça lui faisait 5$/l'heure, à l'époque. C'était pas rien, ça. Et le curé en profitait, pensez-vous bien. Sa première voiture, il l'a payée 2000$. Cash, ma petite madame. Et son premier sac de golf? Cinq sous le bâton! Oui, oui! On ne trouve plus ça, aujourd'hui.

Entre deux bribes de souvenirs, il change de position. Grimace de douleur. Décroise sa jambe gauche. Puis s'aide de ses deux mains pour recroiser la droite.

Ce qui va lui manquer le plus, c'est le homard de l'Île-du-Prince-Édouard. Oh, si vous saviez. Avec un bon vin blanc. En compagnie de sa femme. Rien de mieux. Il y avait aussi cet hôtel où, sur la terrasse, on entendait les avalanches provenant des montagnes. Et un énorme nuage blanc, tout de suite après. Ça, c'est un beau souvenir. Oh, oui.

Il se demande ce que Micheline va faire, sans lui. Ils étaient voisins depuis vingt ans, après tout. À six heures du matin, elle frappait et ils prenaient leur café ensemble. C'était parfait, dans le fond. Bah, maintenant il a tout vendu. À quoi ça lui sert...

Je lui remplis sa bouteille d'eau fraîche. Il se console, qu'il me dit. Après tout, aux soins palliatifs, ils ont tout. La télé, du café, du thé même. Bon, on essaie de ne pas trop déranger le personnel. Mais ça va aller, parce que Micheline va lui apporter de la soupe Wong Tong.

- Quel est votre numéro de chambre, Jean-Paul?
- 416.
- Je passerai vous dire bonjour, quand je reviendrai.

Plus tard, mon grand-père est sorti de la salle d'opération dans un piètre état. Je pense que lui aussi, était en train de faire un long bilan.

J'ai demandé au chauffeur de taxi de me laisser quelque part sur Rosemont. Et je suis rentrée à pied.

Y a de ces moments où on se ferait une ballade pendant toute la nuit.

6 commentaires:

si-mon! a dit...

marie, ne doute jamais de tes talents d'écriture.

tu as su rendre, simplement, l'émotion du moment malgré la lourdeur du sujet.

je t'aime!

Anonyme a dit...

je braille.

Véro a dit...

wow, merci Mpi de nous rappeler l-importance de nos ancetres!

Merci!

Maxim Olivier a dit...

mon commentaire c'est les 3 d'avant réunnis. bra-vo.

Benoit Bordeleau a dit...

Tout simplement magnifique. Je suis heureux d'avoir découvert ton blog :)

La gousse craintive a dit...

Marie-Pierre, tu écris très bien. Bravo.